Enquête
Un souffle
nouveau chez les écrivains italiens d’aujourd’hui
À l’ère de
la mondialisation, un vent nouveau souffle sur l’Italie :
les écrivains italiens contemporains transforment leur propre langue littéraire
et expérimentent de nouvelles formes d’écriture plus aptes à exprimer les
mutations en cours. Mise au point.
Par Angela Biancofiore
2017 - 02
2017 - 02
En pleine crise économique,
écologique et humanitaire (quant à l’accueil des migrants), l’Italie – à
l’instar d’autres pays méditerranéens – est plus que jamais confrontée à
l’interaction entre cultures archaïques et mondialisation. La forte présence,
dans la création littéraire actuelle, des mythes archaïques ainsi que des langues
régionales nous révèle une Méditerranée profondément attachée à la connaissance
de ses propres origines culturelles sans pour autant être repliée sur un passé
révolu. Les écrivains contemporains puisent dans les cultures régionales
l’énergie nécessaire pour s’ouvrir au monde, à l’échelle planétaire : ce sont
les « anticorps face à une mondialisation qui tend progressivement à effacer
les différences » (les ouvrages de Erri De Luca, Marcello Fois, Michela Murgia,
Carmine Abate, Cosimo Argentina, Anselmo Botte vont dans ce sens).
Interculturalité
Les écrivains italiens sont
parfaitement conscients qu’on ne peut vivre dans un monde globalisé sans de
profondes et solides racines, non pas pour alimenter le culte de
l’« identité », mais au contraire pour mieux vivre au sein d’une planète où
règnent des relations d’interdépendance. Par conséquent, afin de mieux comprendre la situation
actuelle, il est nécessaire d’aborder toute question dans une dimension qui va
bien au-delà des frontières de la nation : l’ouvrage d’Alessandro Leogrande, La
Frontiera (Feltrinelli, 2015), nous invite à voir l’Italie, et en particulier
Lampedusa, à travers les yeux des réfugiés de l’Erythrée. Leogrande nous apprend à regarder profondément pour rechercher les racines
des problèmes actuels loin de l’Italie, en Afrique ou en Asie, là où des
conflits politiques, militaires, religieux créent des êtres humains « sans
terre ». Des êtres coupés de leurs racines, de leurs familles, de leurs
cultures qui traversent la Méditerranée ; ces hommes et ces femmes interrogent
une Italie qui a été longtemps pays d’émigration. Par ailleurs, dans le roman
d’Evelina Santangelo, Senzaterra (Einaudi, 2008), un clandestin et un jeune
Sicilien se rencontrent ; pour raconter cette histoire, la langue littéraire se
transforme, accueillant à la fois des expressions en langue régionale (le
sicilien) et les sourates du Coran. Cela nous conduit à penser que la
« nouvelle langue littéraire italienne sera radicalement interculturelle », car
un processus de « créolisation des langues et des cultures » se révèle
nécessaire pour bâtir une société nouvelle où l’appartenance à une minorité ne
serait plus la marque d’une « citoyenneté mineure ».
En effet,
une nouvelle littérature « italophone » se développe depuis quelques années en
Italie qui fait désormais partie intégrante de la littérature italienne. Parmi
les auteurs ayant choisi l’italien comme langue d’écriture, citons : Laila
Wadia, d’origine indienne, et Christiana De Caldas Brito, d’origine brésilienne.
Foto di Chiara Amato |
L’impact de
la mondialisation
L’impact de
la mondialisation sur notre planète occupe une place centrale dans l’écriture
de Erri De Luca : « Nous sommes tous sans terre, y compris celui qui possède un
petit terrain bien inscrit à son nom dans un cadastre. » L’écriture devient le
terrain d’une action qui vise à comprendre et à lutter contre une
mondialisation qui tend à effacer les différentes formes d’humanité.
Chez
d’autres auteurs, le call center (le « centre d’appel » où les marchandises
sont vendues par des téléopérateurs), devient le lieu symbolique par excellence
d’une société qui crée des besoins artificiels car elle est fondée sur la
surconsommation et l’hyperproduction (voir Michela Murgia, Il mondo deve
sapere, éd. ISBN, 2006 ; Ascanio Celestini, Lotta di classe, Einaudi 2009 ;
Giorgio Falco, Pausa caffé, Sironi, 2004). Les écrivains sont souvent eux-mêmes
des travailleurs intérimaires qui arrivent à exprimer, à travers leurs
ouvrages, le sentiment d’une précarité qui va bien au-delà des conditions de
travail (voir par exemple Andrea Bajani et Michela Murgia).
Dans ce contexte en pleine
mutation, « le genre littéraire capable de s’adapter à l’évolution des mots et
des choses, c’est bien le roman » qui actuellement en Italie est en mesure
d’accueillir des formes aussi diverses que le témoignage, le journal, ou
l’entretien. Au sein de la parole littéraire, font irruption le « langage de
l’entreprise », les expressions en anglais, le langage publicitaire et
informatique. Une langue littéraire hybride voit le jour, ayant une syntaxe
simplifiée qui n’est pas sans rappeler le langage des blogs et des réseaux
sociaux. L’ouvrage
Generazione mille euro (Rizzoli, 2006) d’Antonio Incorvaia et Alessandro
Rimassa a été d’abord proposé en téléchargement (23000 en un an) créant un
phénomène littéraire : le reality book. Les auteurs entendent ainsi agir sur la
réalité, empruntant des formes nouvelles, comme le blog, l’autofiction, le
témoignage (http://www.generazione1000.com).
Au sein du
panorama de la littérature italienne contemporaine, les nouveaux auteurs se
distinguent par leur capacité d’écoute. Comme le disait Antonio Tabucchi,
l’écrivain est à la fois « une antenne qui reçoit et qui transmet : il sait
prendre soin des histoires des autres et les restitue à travers l’écriture ». À ce propos, on pourrait évoquer l’histoire d’Andrea Bajani, parti en
Roumanie pour observer les Italiens qui délocalisent leurs entreprises, les
nouveaux riches du Far East qui se comportent comme des colons sans aucun respect
envers les populations locales (Se consideri le colpe, Einaudi, 2007, Si tu
retiens les fautes, Gallimard, 2009). D’autres auteurs se sont engagés dans cette voie où la
littérature, d’une certaine manière, côtoie l’anthropologie : Anselmo Botte
qui, dans ses romans, a donné la parole aux migrants afin de révéler leurs
conditions de vie et de travail dans le sud de l’Italie (Mannaggia la miserìa,
Ediesse, 2009 et Grazie mila, Ediesse, 2010) ; Aldo Nove (Mi chiamo Roberta ho
quarant’anni guadagno 250 euro al mese, Einaudi, 2006) qui mène une enquête
auprès des travailleurs précaires conscients de la perte de leur dignité ;
Carmen Covito, qui a su exprimer le « malaise des mères qui travaillent »,
progressivement marginalisées au sein des entreprises, en dépit de toute
législation en vigueur (Temps partiel, dans l’anthologie Soyons le
changement…).
BIBLIOGRAPHIE
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